« Cette thèse sur l’histoire politique de l’AFP et ses relations avec les pouvoirs publics explique les contextes politique, diplomatique et économique de l’Agence qui ont motivé ses liens avec l’État. » (page 100)
L’auteure, salariée de l’AFP [1], fournit de nombreuses informations et des documents qui jusqu’à présent n’étaient pas disponibles sur Internet. Elle a également eu accès à des sources jusque-là inexplorées, notamment les procès-verbaux du conseil d’administration de l’AFP. C’est l’intérêt incontestable de cette thèse qui est disponible sur internet [2].
On regrettera toutefois des imprécisions, des lacunes et une approche peu critique, proche des thèses dominantes, défendues par les PDG successifs depuis 20 ans. Une approche fondée, selon elle, sur « trois hypothèses » (page 12) :
1/ « Le statut de janvier 1957 ne permet pas à l’AFP de se développer et de faire face à une nouvelle concurrence. Pour assurer sa pérennité, l’entreprise doit se réformer. »
Cette thèse, que nous contestons, est régulièrement avancée par les protagonistes de la concurrence « libre et non faussée ». En réalité, l’AFP s’est sans cesse réformée ; nous pensons qu’elle a pu « se développer » et maintenir son rang mondial grâce à son statut de 1957, et non en dépit de celui-ci.
Cependant, ce statut a déjà été vidé d’une grande partie de sa substance en 2015, lorsqu’il a été mis en conformité avec les traités de l’Union européenne, notamment en légiférant que l’AFP pourra avoir des activités purement commerciales, ne relevant pas de ses missions d’intérêt général.
Si, malgré les décisions prises depuis 2014/2015, les protagonistes de l’Europe néolibérale estiment que l’entreprise doit toujours « se réformer » et que le statut ne permet toujours pas à l’AFP de « se développer », c’est qu’ils ont toujours la même perspective en ligne de mire : l’affaiblissement continu de la mission d’intérêt général de l’Agence et sa transformation en entreprise banale, qui aura définitivement perdu son statut « sui generis ». Nous en voulons pour preuve le projet pour lequel l’actuel PDG Fabrice Fries a été mandaté : « transformer » l’AFP dans le cadre du Contrat d’Objectifs et de Moyens 2019-2023 (signé avec l’État) et « ouvrir le dossier de la capitalisation de l’agence quand le plan de transformation sera suffisamment avancé » [3].
2/ « L’AFP est nécessaire à l’État, qui par l’intermédiaire de son statut conserve une mainmise sur l’entreprise. »
Cela a pu être vrai, mais on verra dans les prochaines années si cette hypothèse est toujours pertinente.
La contre-réforme du statut décidée en 2015 accentue effectivement la mainmise des pouvoirs publics sur l’Agence, notamment en inscrivant les Contrats d’Objectifs et de Moyens [4] dans la loi de 1957. Cette mesure met l’AFP de facto sous la double tutelle du gouvernement français et de la Commission européenne, celle-ci veillant étroitement à ce que le « surcoût » des missions d’intérêt général (dans le sens des traités de l’UE) ne soit pas surcompensé, au risque de sanctions.
Toutefois, cette mainmise vise essentiellement un objectif économique : diminuer la dépense de l’État, soumettre l’AFP aux lois du marché, ouvrir ses activités rentables aux appétits des prédateurs privés.
Vu l’évolution du paysage médiatique en France (presse et chaînes de télévision contrôlées par des proches du président Macron), on peut se demander si l’AFP est toujours politiquement « nécessaire à l’État ». Utile oui, mais pas forcément « nécessaire ».
C’est également vrai pour l’action extérieure de l’État : l’AFP n’est plus le même symbole du « rayonnement de la France » qu’à l’époque de la guerre froide et du non-alignement de de Gaulle. Le contexte politique a changé, tout comme l’Agence elle-même. Celle-ci est désormais présentée non plus comme vecteur d’une francophonie politique dotée d’une mission de service public mais comme entreprise « multiculturelle », dans le cadre de la mondialisation libérale.
3/ « L’originalité du statut de 1957 assure à l’AFP une indépendance rédactionnelle qui fait la qualité de ses contenus reconnus dans le monde entier et lui assure un rôle primordial à l’ère du tout numérique. »
C’est plus un slogan de marketing qu’un fait avéré. Le statut, dans sa version de 1957, garantissait l’indépendance structurelle de l’AFP face aux pouvoirs politiques et économiques. Quant à l’indépendance rédactionnelle, elle n’est pas un acquis figé mais un combat quotidien et permanent. Elle pâtit en outre des changements intervenus depuis 2015 et des contraintes financières qui pèsent sur l’AFP et sur ses personnels.
En résumé, on appréciera la richesse des informations et documents, sans partager les hypothèses et démonstrations de l’auteure de cette thèse de doctorat.
CT