Mai 2011 - La proposition Hoog-Legendre pour changer le Statut de l’AFP : Un projet mortifère

, par Admin

L’Association de défense de l’indépendance de l’AFP (ADIAFP) condamne de la manière la plus ferme la proposition de loi annoncée le 18 mai par le sénateur Jacques Legendre et approuvée par le PDG Emmanuel Hoog dans une déclaration le lendemain.

ADIAFP/PPL Legendre : un projet mortifère. Fichier PDF, 203 Ko

Cette initiative, qui vise à enterrer le Statut actuel de l’AFP, a été lancée soudainement, sans aucune consultation préalable à l’intérieur de l’Agence, et ce à moins d’un an du prochain scrutin présidentiel. Elle est fondée sur une fausse analyse des besoins et des enjeux de l’AFP, l’une des trois premières agences de presse mondiales.

En particulier, M. Legendre reprend à son compte l’affirmation de M. Hoog selon laquelle la presse française ne représenterait plus que 10% du chiffre d’affaires de l’AFP, ce qui justifierait, aux yeux du PDG, une modification radicale du nombre de sièges réservés aux médias hexagonaux au Conseil d’administration.

Si cette proposition de loi devait être adoptée, pas moins de six des dix postes d’administrateurs dévolus actuellement aux représentants des médias français (dont deux à l’audiovisuel public) seraient ainsi occupés par des « personnalités indépendantes disposant d’une expérience reconnue dans les domaines de l’information et du journalisme ».

Ces administrateurs seraient « cooptés » par les neuf autres membres du CA, une procédure opaque qui pourrait ouvrir la porte à des manipulations en tous genres, réduisant l’indépendance de l’AFP par rapport à l’Etat, voire par rapport à des intérêts privés agissant en accord avec ce dernier.

Si la composition du Conseil d’administration ne reflète pas exactement les parts des clients de l’agence dans le chiffre d’affaires, il en a toujours été ainsi. Un très grand PDG du passé, Jean Marin, n’a-t-il pas expliqué que « L’AFP ne peut fonctionner que si celui qui paye ne commande pas » ?

Des chiffres trompeurs

Mais nous mettons au défi M. Hoog de nous prouver, comme il ne cesse de le dire depuis plusieurs mois, que la presse française ne représenterait plus que 10% du chiffre d’affaires de l’agence !

Selon les derniers documents de la direction elle-même, les services vendus en France à l’ensemble des clients, hors contrat avec l’Etat, constituent 26% des recettes de l’AFP, de très loin la plus grande contribution de toutes les régions du monde. [Source : « Le budget 2011 » : document fourni au Comité d’entreprise en février 2011. Page 8]

Par ailleurs, un document de décembre 2010, dans lequel M. Hoog dessinait ses ambitions stratégiques pour l’AFP pour la décennie à venir, affirme qu’en 2009 l’AFP comptait au total 3.174 clients dans le monde, dont 860, soit 27%, en France [« Stratégie de l’AFP, 2010-2020 », du 16 décembre 2010. Page 11].

De tels chiffres sont difficilement compatibles avec une presse française qui serait devenue presque marginale. Mais nous savons que M. Hoog a souhaité minimiser le rôle des médias français dans l’activité de l’AFP (est-il besoin de rappeler que nous parlons de la seule agence de presse mondiale qui n’est pas d’origine anglo-saxonne ?) afin de justifier son projet de fournir gratuitement les produits de l’AFP au grand public !

C’est l’opposition somme toute compréhensible des administrateurs presse à ce projet qui a justifié le désir de M. Hoog, repris par le Sénateur Legendre, de réduire la représentation de cette même presse au sein du conseil d’administration.

Paradoxalement, la proposition Legendre affirme en même temps que l’AFP n’aurait pas le droit de fournir ses produits gratuitement au grand public, pas plus qu’elle n’aurait le droit de financer ses recettes directement par la publicité.

Nous nous félicitons de cette prise de position du sénateur, tout en faisant remarquer que d’un trait de plume elle enlève le principal argument avancé par M. Hoog pour une modification de la gouvernance de l’AFP !

Opacité financière

Sur le plan financier, la proposition Legendre nous paraît tout aussi néfaste.

En souhaitant éliminer la commission financière qui jusqu’ici contrôlait les comptes de l’agence, la proposition de loi augmenterait considérablement les pouvoirs du nouveau Conseil d’administration et de ses six administrateurs « cooptés » - éventuellement par le fait du prince.

De même, la proposition de relâcher les règles de rigueur budgétaire imposées par le Statut existant risquerait d’entraîner l’AFP dans de nouvelles aventures hasardeuses et ruineuses, car M. Hoog, pas plus que ne l’avait fait son prédécesseur Pierre Louette, n’a toujours pas défini de stratégie crédible pour l’agence.

Par ailleurs, en modifiant radicalement la manière dont les services vendus à l’Etat - environ 40% des recettes à ce jour - sont facturés, le nouveau projet fragiliserait encore plus les finances de l’AFP.

En particulier, il serait question de fonder la participation de l’Etat, souvent présentée comme une simple subvention mais qui correspond en fait à des services d’information dont les pouvoirs publics ont bien besoin, sur la notion de « mission d’intérêt général » afin d’obéir aux préceptes de l’Union européenne.

Notre association est favorable à une définition plus précise de la mission d’intérêt général de l’AFP : nous considérons même qu’une telle mission, couvrant les services dans toutes les langues et pas uniquement ceux en français, devrait définir l’action de l’agence dans son ensemble.

Mais pour ce faire il n’y a nul besoin d’inscrire ce processus dans le statut : à nos yeux l’article 2 de la loi de 1957, qui affirme que l’agence doit « rechercher... les éléments d’une information complète et objective » jette déjà les bases d’une telle mission.

D’ailleurs, les avocats de la direction ont déjà informé les syndicats que les missions d’intérêt général peuvent très bien faire l’objet d’un simple contrat commercial avec l’Etat...[source : Compte-rendu d’une réunion entre les avocats et les syndicats, le 18 juin 2009]

La règle d’or pour toute modification du statut de l’AFP

Les deux principaux objectifs de la proposition Legendre - modifier la composition du Conseil d’administration et changer radicalement le rôle de l’Etat dans le financement de l’AFP - nous semblent donc nocifs, et à rejeter.

Cette proposition aurait pour conséquence d’augmenter l’influence de l’Etat sur l’agence tout en fragilisant encore plus les comptes de cette dernière.

Depuis 1957, le statut actuel a assuré à l’AFP l’essentiel, à savoir :

  • il a protégé dans la mesure du possible l’indépendance de l’AFP.
  • il n’a pas empêché l’AFP d’évoluer et de s’adapter à toutes les révolutions que son secteur d’activité a connues. Pour preuve, 54 ans après l’adoption de ce Statut, l’AFP est toujours parmi les trois plus grandes agences mondiales.

Pour autant, nous ne considérons pas ce Statut comme un texte sacré et définitif. Et il ne s’agit pas pour nous de contester le droit du Parlement français - qui est la source de toutes les lois, dont le Statut de l’AFP - de rouvrir le dossier de l’AFP. Nous savons tous que l’AFP existe par une volonté politique du législateur et ne pourra survivre que si cette volonté est maintenue.

Toutefois, comme nous l’avons écrit dans notre « Lettre ouverte aux parlementaires » (en date du 16 novembre 2010), nous considérons que tout projet de modification du Statut de l’AFP doit impérativement remplir les quatre conditions suivantes :

  1. Renforcer l’indépendance de l’AFP, autrement dit apporter des garanties supplémentaires par rapport à la situation actuelle où un parfum d’influence politique persiste, surtout lors de l’élection du PDG. Il faut donc qu’une éventuelle modification du Statut apporte une étanchéité plus grande vis-à-vis de tout pouvoir extérieur intéressé par l’impact énorme de l’AFP.
  2. Être relié à une vraie stratégie d’entreprise. Il faut exposer cette stratégie et dire en quoi le Statut actuel empêche sa réalisation et ensuite - et seulement ensuite - modifier le Statut pour permettre la réalisation de ladite stratégie.
  3. Recueillir au préalable l’accord du personnel par référendum. Cette exigence n’est en rien démagogique ou populiste : l’AFP est une entreprise de matière grise. Son savoir-faire et son expérience sont détenus par son personnel. L’adhésion du personnel à toute évolution du Statut de l’Agence est donc vitale. Cette précaution a été prise en 1955 sur le texte finalement adopté en 1957. Il serait inconcevable de faire aujourd’hui moins bien qu’il y a 55 ans en matière de démocratie !
  4. Recueillir une très forte majorité au Parlement. Si l’unanimité parlementaire que le Statut actuel avait recueillie en 1957 peut sembler inaccessible aujourd’hui, il faudrait tout faire pour s’en rapprocher. L’AFP est un outil essentiel pour la vie démocratique et le pluralisme. Elle ne concerne pas seulement la majorité parlementaire du moment, quelle qu’elle soit, mais l’ensemble du peuple français.

Nous ne pouvons que remarquer que ni la Direction de l’AFP ni les pouvoirs publics n’ont fait pour l’instant le moindre effort pour remplir ces conditions.

Par conséquent, nous considérons que le projet Hoog-Legendre est inacceptable et qu’il est mortifère pour l’AFP.

Nous appelons le personnel de l’AFP, objet d’un mépris flagrant de la part de M. Hoog, ainsi que tous les citoyens soucieux de la liberté de l’information à s’opposer à ce projet. L’AFP est la source principale de l’information en France : si elle est polluée, tous les robinets en aval le seront.

De même, nous appelons à la relance de la pétition « SOS-AFP », qui a déjà permis à plus de 21.000 personnes dont de nombreux parlementaires et autres personnalités d’affirmer leur profond attachement au Statut actuel de l’AFP. Force est de constater que cette pétition reste plus que jamais d’actualité.

ADIAFP, le lundi 23 mai 2011